CHAPITRE XIII

Deux jours plus tard, « Le Trappeur » se posait sur un des terrains de l’Université, au beau milieu du zoo de la planète Ril.

L’équipe des trappeurs fut accueillie par Pol Kakov, par Hansel Morly, le Recteur de l’Université, et par de nombreux professeurs et dirigeants du zoo.

On les emmena aussitôt visiter les locaux où allaient être logés les deux bêtes extraordinaires qu’ils avaient réussi à capturer. Ils furent impressionnés par le soin qui avait été apporté à la réalisation de cette installation.

— Hé ! dit Harp Loser à Kakov, je vois que tu as bien fait les choses.

— Je ne fais jamais les choses à moitié. D’ailleurs, le Recteur s’est montré très exigeant.

— Il le fallait, dit Hansel Morly. Cette salle (et il y en a une autre semblable) a trente-cinq mètres de long, quinze de large et sept de hauteur. Ses parois sont faites de blindages d’acier de trente centimètres d’épaisseur. Tous les appareils que vous apercevez peuvent être mus de l’extérieur et on pourra en introduire d’autres sans difficulté. Les petits hublots qui nous permettront de voir sont aussi épais que les blindages, et composés d’une substance aussi dure…

— Je vois que tout le fond de la salle est recouvert de terre, dit Joe…

— Oui… Et non seulement il est recouvert de terre, mais il y a de la terre jusqu’à dix mètres de profondeur, sur une surface de deux cents mètres carrés. Oh ! rassurez-vous… Les malachs ne pourront pas s’enfuir par-là, car toute cette terre est, elle aussi, emprisonnée dans des blindages. Mais nous avons pensé qu’il serait bon de reconstituer, même à une échelle très réduite, les conditions naturelles de vie de ces créatures. Nous avons pensé aussi qu’elles ne pouvaient se nourrir que de minéraux. Elles trouveront là de quoi s’alimenter. C’est d’ailleurs dans cette partie des deux salles qu’on déposera les caisses. Le déchargement pourra s’effectuer sans difficulté. Nous ouvrirons les plafonds blindés. Une grue d’une énorme puissance déposera les cages exactement aux endroits voulus dans chacune des salles. Vous nous avez fait savoir que ces cages pouvaient s’ouvrir par télécommande…

— C’est exact, dit Harp Loser. Et il faudra les renverser quand elles seront ouvertes, car nous ne sommes pas sûrs que les malachs, qui plongent admirablement dans le sol, savent sauter en l’air…

— Tout cela est prévu aussi, dit Kakov. Et vous avez remarqué que nous sommes entrés ici par un grand sas à double fermeture. C’est par-là que les caisses vides seront évacuées. Par-là aussi que l’on pourra faire pénétrer, le cas échéant, de gros appareils.

— Eh bien ! tout est parfait, dit le vieux trappeur.

— Savez-vous, Monsieur Loser, reprit le Recteur, que vous avez réalisé un magnifique exploit ? Il fut sans doute moins pénible et moins périlleux que la capture du spirgau, mais pour nous, savants, il est infiniment plus intéressant. Le spirgau est un animal gigantesque, mais de même nature que ceux que nous connaissons. Avec les malachs, il en va tout autrement. Nous sommes en plein mystère. Et cela nous offre un champ d’étude passionnant. Soyez-en remercié.

*

* *

Le débarquement des malachs s’effectua sans difficulté, ainsi que le Recteur l’avait prévu. En moins de deux heures, les caisses blindées furent amenées dans les salles, et les plafonds de celles-ci hermétiquement clos.

Tous ceux qui étaient présents s’installèrent alors devant les hublots pour assister à la dernière phase de l’opération : l’ouverture des caisses.

Il y eut une minute d’attente, dans une tension extrême. Les membres de l’équipe des trappeurs se demandaient si, malgré tout, les deux malachs étaient bien dans les pièges. On commença par la caisse qui portait le numéro 7, inscrit en grosses lettres sur sa paroi.

Quand les mâchoires du couvercle s’ouvrirent, il ne se passa rien. Et l’émotion fut portée à son comble. Mais, déjà, de solides grappins emprisonnaient la caisse et la retournaient. Un grand corps gris et vert tomba sur le sol, avec quelques débris de terre et de roches.

Harp Loser poussa un soupir de soulagement.

— Bravo ! s’écria Pol Kakov.

— Et vous avez vu, dit Misoky. Le malach que nous avons sous les yeux est tombé sur le côté, mais il s’est redressé avec une rapidité foudroyante. Il a pris sa position habituelle. Il est donc toujours vivant…

— Ils sont certainement vivants tous les deux, dit Joe. Leur capacité de résistance doit être incroyable.

— Maintenant, il ne bouge plus, intervint Lira. Il va rester rigoureusement immobile pendant des heures, et peut-être des journées.

Le Recteur Hansel Morly murmura :

— Quelles étranges créatures ! On dirait en effet un rocher. Ou une statue…

*

* *

— Tu n’as pas eu peur, Roamla ?

— Non. Nous savions bien qu’ils ne pouvaient rien faire de dangereux pour nous et, d’ailleurs, ils n’y songent même pas. Je vois bien que, toi non plus, tu n’as pas eu peur…

— Non, dit Suamla. Ainsi, nous sommes maintenant sur cette planète qu’ils appellent Ril. Les créatures molles sont infiniment plus nombreuses qu’où nous étions avant. Il y en a de toutes sortes autour de nous. Et les créatures molles intelligentes ont de vastes habitations et d’imposantes machines.

— Oui, dit Roamla. Nous aurons tout, le temps de les étudier. Soyons patientes, comme nous l’a recommandé Groham.

— Je serai patiente.

*

* *

Ce soir-là, conformément à une vieille tradition, Harp Loser dîna chez le directeur du zoo qui, naturellement, avait invité aussi Lira et Joe. Le Recteur Hansel Morly était également présent.

On parla évidemment beaucoup des malachs. Puis, comme le dîner tirait à sa fin, Pol Kakov dit au vieux trappeur :

— Mon cher Harp, j’ai encore dans la manche un petit projet. Une expédition de rien du tout, et que je puis te garantir absolument sans danger. Il s’agit d’herbivores d’assez forte taille, mais parfaitement inoffensifs, et très curieux…

Loser agita son index devant son nez.

— Tu es un vieux tyran, dit-il. Rien à faire pour le moment. Je veux rentrer à la maison, et me reposer pendant six mois.

Il se tourna vers sa fille et son gendre.

— Vous êtes bien de mon avis, vous deux ?

— Oui, père, dit Lira. Tu as parfaitement raison de vouloir te reposer. Mais Joe et moi nous avons aussi formé un petit projet…

— Un projet ? Une expédition de chasse ?

— Non… Pas une expédition… Pas une expédition de chasse, en tout cas… Joe, veux-tu expliquer à papa de quoi il s’agit ?…

Le jeune homme hésita un instant.

— Vous allez peut-être vous moquer de nous, dit-il, mais nous avons pensé que nous pourrions, maintenant, faire un petit voyage de noces… Nous promener un peu, pour notre plaisir.

Harp eut un large sourire.

— Pourquoi pas ? Où voulez-vous aller ? Sur la planète mère ? Sur la planète Korfa, où il y a de si beaux paysages ? Sur la planète Sar, voir les ruines de Kersilon ?

— Non. Ce serait plutôt un voyage d’études…

— Un voyage d’études ? Tu m’as dit à l’instant que ce serait pour vous distraire…

— L’étude est souvent une distraction, dit Lira.

— Alors, expliquez-vous.

— Eh bien ! reprit Joe, nous avons pensé que la planète Argoun, qui est située aux confins de l’univers connu, n’était peut-être pas unique en son genre. Nous avons pensé que sur les planètes situées au-delà de la nébuleuse d’Andromède, il y avait sans doute d’autres malachs, ou bien ce qui serait encore plus curieux, des créatures de même nature, mais différentes. Il y a peut-être là un monde absolument inconnu dont la planète Argoun ne serait qu’un élément avancé…

Hansel Morly avait dressé l’oreille.

— Ce que vous dites, fit-il, est très intéressant.

— Très intéressant, répéta Kakov, comme un écho.

— Notre Université, reprit le Recteur, pourrait contribuer au financement de ce voyage.

— Le zoo aussi.

— Je vous répète, fit Joe, qu’il ne s’agit pas d’une expédition de chasse. Nous nous bornerons à observer…

— C’est bien ce que j’avais compris, dit Kakov. Et nous n’en demandons pas plus pour commencer. Les expéditions de chasse viendront plus tard, si vous faites de nouvelles découvertes. Et vous en ferez certainement…

Harp Loser semblait très perplexe. Il caressait sa cicatrice sur sa joue gauche.

— Et comment irez-vous là-bas ? demanda-t-il.

— Oh ! papa, fit Lira, tu nous prêteras bien « Le Trappeur ». Nous n’emmènerions que Peter Patless et les deux mécaniciens. Et Misoky, que cela intéressera certainement. Nous ne serons pas absents plus de trois mois.

Harp Loser réfléchit un long moment.

— C’est d’accord, dit-il. Mais à une condition. Je viendrai avec vous !

Pol Kakov éclata de rire.

— Le contraire m’aurait étonné, s’exclama-t-il. Mais je m’aperçois que ton gendre et ta fille ont sur toi plus d’influence que moi, vieux malach !

— Vieux malach ! Alors, quoi, je ne suis plus un vieux crocodile ? Tu pourras me traiter de malaœh quand tu auras fait ériger ma statue au milieu de ton zoo. Une statue en pierre, naturellement.

— Tu l’auras un jour, ta statue. Alors, quand partez-vous ?

— Minute, fit Harp. Je veux d’abord passer huit jours à la maison. Mes bêtes doivent commencer à languir de moi. Vous êtes bien d’accord, les enfants ?

— D’accord, dit Lira.

— D’accord, dit Joe.

Le téléphone retentit. Kakov alla répondre. Quand il revint, il dit à ses hôtes :

— On m’annonce qu’un des deux monstres minéraux s’est enfoncé dans la terre. Il va sans doute trouver que ça ne va pas très profond. Mais c’est ce qu’on pouvait lui offrir de mieux.